mardi 30 juillet 2013

12. Retrouvailles

Retrouvailles avec moi-même.

Finalement, le trajet en voiture s'est très bien passé pour les poilus. Betty s'en est très bien remise, et Grib' a fait la fête dès sa cage ouverte. C'est pas bien pour l'environnement, mais la clim' a beaucoup aidé. Nous avons passé trois jours chez mes parents, trois jours à Six-Frs, puis encore deux jours chez mes parents. Ensuite, retour sur Chnns chez sa mère, où nous avons presque fini nos vacances, pour rentrer sur Paris avant-hier, dimanche.

C'est là que le choc a eu lieu.

J'avais hâte de retrouver mon appartement. Mais plus nous nous approchions, plus une angoisse sourde me saisissait. Et en ouvrant la porte, j'ai su. Bordel, crasse, apocalypse. Il est resté un peu sonné, choqué, de voir cet endroit. Plusieurs fois, il me demande comment j'ai pu devenir comme ça. Je ne réalise pas vraiment au début, je me sens blessée mais plus encore, le sentiment de l'avoir déçu me terrorise, mais je ne pleure pas. Nous commençons à nettoyer et ranger. Et c'est là. C'est là que je me rends compte, au fur et à mesure des passages de chiffons, lingettes, balais, aspirateurs, je me rends compte dans quel amas de merde et de crasse je vivais. Et plus je nettoie et range, plus je me fais peur. C'est ça, moi ?
Je comprends son ahurissement, et en silence je nettoie et frotte et ravale mes larmes.
Le temps passe. Plus j'enlève de la poussière et du gras sur les murs et des poils de lapin, plus je repense amèrement à l'éducation que j'ai reçue de ma mère, à mon premier appart' sur Paris qui n'a jamais été dans un tel état, à mes débuts ici quand je crisais, nettoyant et rangeant tout à 1h du matin incapable de dormir en sachant que le bordel était roi. Et puis je me questionne, pourquoi, pourquoi suis-je devenue comme ça ? Je ne suis pas maniaque mais laisser s'accumuler des touffes de poils dans la salle de bain, non. Laisser des traces de liquide par terre, non. Laisser des tas de restes de feuilles de légumes qui pourrissent dans le frigo, non. Non, ce n'est pas moi, et j'ai envie de pleurer, de me cacher, honteuse et dégoûtée.
C'est un tout.
Je ne prenais plus soin de mon appartement, ni de moi-même. Ni de mes affaires. Ni de mes livres. Ni de mes pinceaux, tous morts. Parce que je vivais avec quelqu'un qui ne voyait rien, j'ai laissé faire, je me suis laissée entraîner, encrasser, embourber.
Il me demande comment j'ai pu vivre ainsi trois ans, je ne sais plus répondre, je ne trouve plus une seule raison valable, je sais que ce n'était plus de l'amour depuis longtemps. Juste, une habitude. C'était normal de ne rien faire, de rentrer et le voir jouer, d'être triste en pensant à ses études, d'acheter toujours des choses aux courses supplémentaires pour nous et lui, jamais, c'était normal de dépenser 400€ en cadeau et recevoir une mandoline, c'était normal de payer, d'avancer la taxe d'habitation, c'était normal qu'il achète des jeux, c'était normal, tout me paraissait normal.
Il me dit qu'il se moquait de moi, je secoue la tête, prenant faiblement la défense de M., mais plus il m'énumère des détails, plus je suis triste, oui, objectivement parlant, on pourrait croire ça, même si je sais que ce n'était pas le cas. J'ai ma part de responsabilité aussi.
Nous avançons lentement. Le couloir, la salle de bain, la cuisine. Aujourd'hui, il reprend le travail, je vais m'occuper de la salle à manger. C'est difficile, mais je me sens revivre. Je me retrouve.

Ranger, nettoyer, remettre en place. Il m'aide, nettoie les endroits merdiques, sue et transpire, m'achète un tapis pour la chambre, me met une nouvelle barre de douche, transporte des choses à la cave que je n'ai jamais vue, installe un rideau, me force à boire de l'eau car je ne bois pas assez, m'aide à me tenir droite, il est là. Tout ça ne l'a pas effrayé, il est resté, il a encore beaucoup de projets pour nous.

Ma mère me dit, il prend soin de toi, ça se voit. Il fait adulte, M. était un petit garçon et je suis d'accord avec elle. J'ai l'impression d'être une femme, non plus une maman-doudou. D'être une personne avec des peurs qui sont chassées, des doutes qui sont éjectés, des questions qui obtiennent des réponses. Je me projette dans l'avenir, chose incroyable. Je veux décorer, ranger, reprendre la lecture, le dessin, les études, j'ai plein de projets en tête, et quand je me regarde dans le miroir, je me vois, moi.

Et je souris, parce que j'ai l'impression qu'il y a bien longtemps que je ne m'étais plus regardée.

Il m'a aidée à me retrouver.

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