mardi 9 juillet 2013

9. Constats

Pharmacie.
Une femme enceinte entre. Deux personnes sont en train d'être servies. L'une d'elle finit, la pharmacienne se tourne vers moi, je décline et laisse ma place à la femme enceinte. Au début, elle ne comprend pas, insiste vous-étiez-avant-moi puis je souris un peu gênée, regarde son ventre, elle comprend, sursaute, me dit ensuite merci avec un grand sourire. Merci beaucoup, merci. Merci. Elle le répète environ 7 fois en quelques minutes. Je souris, mais suis dépitée. Allons donc, c'est si exceptionnel que ça ? Laisse ta place aux personnes âgées et aux femmes enceintes, et de manière générale, aux gens qui en ont besoin. Les consignes de ma mère résonnent dans mes oreilles, et si parfois je l'avoue, je ne me levais pas dans le bus car exténuée de ma journée de travail avec mon énorme sac sur le dos, j'ai toujours, toujours suivi l'éducation que j'avais reçue. Voir qu'un geste aussi banal que ça paraît exceptionnel m'attriste.

Boutiques.
Je fais rarement les boutiques, j'ai désormais horreur de ça. Mais là il fallait bien, je voulais quelque chose qui ne s'achète pas en ligne, je le voulais vraiment. J'arrive, entre, commence à faire mon choix. En attendant, la vendeuse part s'occuper d'une autre cliente. Partout, les avertissements Les chèques ne sont pas acceptés. Après avoir tenu la jambe de la vendeuse pendant dix minutes, la femme veut payer par chèque. Refus. Elle râle et s'en va. Pendant que la vendeuse revient vers moi, un homme entre, ni bonjour ni merde, s'accoude sur le comptoir comme un poivrot. Bonjour monsieur, puis-je vous aider ? Un grognement incompréhensible lui répond, elle hoche la tête et finit de m'encaisser. Je paye, lui souhaite bon courage, elle sourit, je pars. Je me souviens des clients de mon père à l'époque, évidemment qu'il y en avait des imbuvables. Mais à ce point ?

Je cède, finis par entrer dans une boutique de vêtements. Il est 11h, il n'y a pas grand monde. J'erre dans les rayons, tombe sur une jolie robe, un jean sympa. Je fouille à la recherche de ma taille. La trouve. Fronce les sourcils. Il y a un souci. Je vérifie, non, c'est bien ma taille. J'essaie. C'est bien trop grand. Je me souviens avoir râlé parce que mes pantalons tombaient, je pensais que le lavage avait eu raison d'eux. Ce n'est pas ça, apparemment. Je me sens bien.

Lit.
Je ne me rappelle plus exactement du début de la conversation. Comment en est-on arrivés là ? La crise de toux et la pointe au coeur étaient des signes, je n'y ai pas fait attention, bien mal m'en a pris. Je suis presque en colère, même si je comprends son point de vue, il n'a pas à dire ce genre de choses sur eux, sur des personnes qui me sont chères, il me demande si je comprends vraiment ce qu'il ressent, je réponds, j'ai juste, je comprends, mais ma colère est toujours là, c'est lui qui ne comprend pas, il n'était pas là il y a dix ans, il ne pouvait pas comprendre, et je lâche cette phrase lourde, dramatique, pour défendre ces personnes et tenter de lui expliquer, de lui faire comprendre qu'il se trompe, et je prononce ces mots insoutenables, ces huit mots atroces qui me renvoient alors à cette période noire, maudite, que je tentais d'oublier, d'entasser, d'enterrer, je me retrouve à 16 ans, devant cette personne, et j'ai mal, j'ai tellement mal, et j'ai peur. Je me retrouve tremblante, en pleurs, et parce qu'il est trop tard, qu'il s'est redressé, angoissé, à peine ces mots prononcés, qu'il est à côté de moi, parce que je lui fais confiance plus qu'à n'importe qui d'autre, je parle, je parle de toutes ces choses qui datent de 10 ans, ces choses que je n'ai même jamais confiées par écrit, à personne. Il écoute, il souffre, il est en colère, il se calme, il me dit que désormais, je dois me servir de ça pour être plus forte, et je pleure, et j'acquiesce, et je serre sa main, fort, très fort, mais j'ai toujours peur. Je parle, il parle, il découvre un peu plus chaque jour mes angoisses, mes faiblesses, mes noirceurs, et pourtant il est toujours là, il me répète ce qu'il m'avait affirmé deux semaines auparavant, et plus le temps passe, plus je sais que c'est lui, ça a toujours été lui, et merde aux clichés romantiques écoeurants.
La nuit passe vite, rêves et cauchemars, souvenirs et hallucinations, j'ai chaud et froid et dors mal. Mais à mon réveil il est encore là, alors je me calme, ferme les yeux, décide d'être plus forte. J'ai encore beaucoup d'efforts à fournir. Mais je sais que je peux y arriver.

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